Le mouvement Brownien

Savez-vous quels sont les phénomènes physiques qui régissent le mouvement des particules dans un fluide au repos ? Quels sont ceux qui décrivent les fluctuations que l'on observe en bourse, ou dans n'importe quel système économique à grand nombre d'échanges ? Quels sont ceux qui décrivent les fluctuations locales du nombre d'éléments de chaque espèce dans un système dynamique de prédateurs/proies ? Quels sont ceux qui décrivent la distribution des grains de sable sur une plage ? Ou encore des étoiles dans un amas stellaire ? Ou même la distribution des galaxies dans l'univers ?

Dans toutes ces situations, un phénomène physique fondamental intervient et joue un rôle non-négligeable. Ce phénomène, c'est le mouvement Brownien. Ce dernier entraîne ce que l'on appelle des fluctuations dans la distribution des éléments que l'on observe, je m'explique. Lorsqu'on étudie un système à grand nombre d'éléments, on ne peut généralement pas décrire précisément les interactions deux à deux entre chaque élément du système. On ne peut discuter qu'avec des grandeurs dites "macroscopiques" (par opposition à microscopiques). En faisant cela, on crée une erreur (dépendant souvent de la taille de notre système) car localement, la grandeur en question peut augmenter ou diminuer (ie. fluctuer). Le mouvement Brownien dans ce cas particulier, nous permet d'obtenir des informations sur la manière dont fluctue les grandeurs en question.

C'est un phénomène physique (ou plutôt mathématique) dont la quantité d'applications est quasiment illimitée dès lors que sont impliqués des systèmes à grand nombre d'éléments. On le retrouve en physique bien sûr, mais aussi en finance, en démographie, en biologie, en géologie, en informatiques et j'en oublie sûrement beaucoup. C'est un sujet important que tout passionné de physique se doit de connaitre :).

L'histoire du mouvement Brownien

La première personne à avoir évoqué le mouvement Brownien est un célèbre botaniste Anglais. En 1828, Robert Brown publie un article dans lequel il rapporte le mouvement aléatoire de particules de pollen à la surface d'une eau au repos. Son article suscite dans un premier temps de l'incompréhension car il utilise des termes techniques inappropriés qui laissent à penser que les particules de pollen son animées d'un mouvement qu'elles génèrent elles-même. Brown refait alors son expérience en prenant bien soin d'utiliser des particules d'origine minérale, il observe le même résultat. Les particules sont animées d'un faible mouvement aléatoire à la surface de l'eau. Il en déduit que se sont les molécules d'eau qui génèrent ce mouvement.

Avant Einstein

Entre 1830 et 1905, de nombreux physiciens tentent de trouver une explication à ce phénomène. Les observations montrent que le mouvement Brownien augmente lorsque la taille des particules diminue, ou lorsque la viscosité du fluide décroit, ou lorsque le fluide se refroidit. Une première hypothèse issue de la théorie cinétique des gaz explique que le mouvement Brownien naît de la collision des molécules du fluide sur les particules en suspension. Cette dernière s'oppose à un autre point de vue consistant à dire que le mouvement Brownien est généré par les vibrations de l'éther (le même que pour la lumière), à une certaine longueur d'onde, et correspondant à la taille du plus petit groupe de molécules en mouvement collectif. Ces deux hypothèses sont vivement critiquées avec pour argument que la taille des molécules est bien trop faible devant celle des grains pour engendrer quelque mouvement qu'il soit. Une dernière hypothèse vit le jour au même moment et consiste à dire que ce mouvement naît non-pas de collisions mais plutôt d'interactions électromagnétiques (attraction ou répulsion coulombiennes) entre les molécules du fluide et les grains.

Un problème supplémentaire se pose, il semblerai que le mouvement Brownien est perpétuel et donc qu'il viole le principe de conservation de l'énergie. En réalité pas du tout. Toute variation de la vitesse d'un grain est accompagné d'une variation (de signe opposé) de la température du fluide. Ceci semble cependant être en contradiction avec le principe de Carnot qui stipule que l'on ne peut extraire du travail (mouvement) d'une simple source de chaleur. Un physicien réglera le problème en montrant que le principe de Carnot cesse d'être valable à des dimensions de l'ordre du micron (pour un fluide similaire à de l'eau en tout cas).

On a donc plus ou moins trois courants de pensée mais pas encore de théorie solide. Il faudra pour cela attendre 1905.

Le rôle d'Einstein

C'est en 1905 qu'un certain Einstein, en cherchant un moyen théorique de trouver le nombre d'Avogadro (), propose une démonstration du mouvement Brownien reposant sur de solides fondations. En effet, il s'appuie sur deux théories ayant des origines assez différentes : la première est la théorie hydrodynamique qui propose une description continue des fluides (gaz et liquides), la seconde est la théorie cinétique de la chaleur qu'Einstein utilise pour décrire l'agitation thermique des grains en se basant sur le concept de pression osmotique développée par Van’t Hoff. Finalement, après quelques calculs, Einstein obtient la relation suivante :

.

Où   représente le coefficient de diffusion des grains dans le fluide, est le temps de diffusion, est le nombre d'Avogadro tant convoité à cette époque, est la constante des gaz parfaits, est la température cinétique du liquide et enfin et sont la viscosité du liquide et le diamètre des grains respectivement. Cette formule assez complexe représente le déplacement carré moyen d'un grain au sein d'un liquide à cause du mouvement Brownien. Pour obtenir le déplacement type du grain, il suffit de prendre la racine carré de cette expression. Il ne faut pas confondre le déplacement type du grain avec son déplacement moyen qui est nul dans la mesure ou l'on considère que les fluctuations du milieu sont isotropes.

Finalement, Einstein a tapé très fort. Il a réussi à proposer, à la fois une explication physique solide du mouvement Brownien et un moyen de déterminer le célèbre nombre d'Avogadro qui est tant utilisé de nos jours. Les travaux d'Einstein sont ensuite repris par des Statisticiens et autres Mathématiciens qui généralisent la notion de mouvement Brownien en se rendant compte ce que qu'Einstein décrit est simplement l'éloignement d'une particule de sa position initiale au bout d'un certains nombres de mouvements aléatoires.

Il y a aujourd'hui beaucoup de manières différentes d'approcher le concept de mouvement Brownien, je vais donc vous montrer quelques exemples sympa avec pour objectif d'en tirer les propriétés principales.

Les propriétés du mouvement Brownien

Comme je vous l'ai déjà dit, on peut apparenter le phénomène de mouvement Brownien d'une particule à des fluctuations purement aléatoires de sa position dans l'espace (si l'on considère un mouvement Brownien en 3D) ou dans le plan (si on le considère en 2D). Ce qui est intéressant avec les phénomènes stochastiques, c'est qu'on peut les simuler numériquement et en retirer des propriétés générales que l'on ne peut pas deviner autrement qu'en faisant des calculs. En effet, les équations qui régissent des processus purement stochastiques sont souvent insolvables analytiquement. Encore une fois, l'ordinateur est notre ami :).

Mouvement Brownien d'une particule

La notion de mouvement Brownien n'est donc pas une notion physique mais plutôt une notion mathématique puisqu'elle consiste essentiellement en une fluctuation purement aléatoire dont on peut tirer certaines propriétés générales. Bien que j'ai plutôt tendance à l'aborder sous l'angle de la physique en parlant de particule, gardez à l'esprit que le mouvement Brownien résulte de la fluctuation stochastique une variable aléatoire.

Imaginons donc le mouvement Brownien d'une particule. Pour simplifier le travail et comme cela ne va rien changer aux résultats que nous allons obtenir, je décide de me placer en une seule dimension. On a donc une particule qui se trouve à l'instant initial à la position . A chaque pas de temps , cette particule peut de déplacer à gauche ou à droite d'une distance . La variable est donc une variable aléatoire et vaut soit , soit . On considère enfin que la particule réalise 100 pas.

Voici donc ce que l'on obtient lorsqu'on représente l'évolution au cours du temps de la position d'une particule réalisant un mouvement Brownien dont les propriétés sont explicitées ci-dessus :

On voit que cette particule réalise un mouvement totalement aléatoire et on ne peut pas en déduire de lois physiques régissant (à priori) ce type de mouvements.

On peut en revanche étudier simultanément le mouvement Brownien d'un grand nombre de particules, par exemple : .  Dans ce cas, il devient difficile d'étudier particule par particule, l'évolution de la position . On s'intéresse généralement plutôt à la valeur moyenne des positions de chacune des particules du système. Si on appelle la position de la particule à l'instant , la valeur moyenne est donnée par :

Et si on trace l'évolution de la position moyenne de la particule au cours du temps, voici ce que l'on obtient :

On remarque que la moyenne des positions à tendance à s'éloigner de la position initiale des particules du système . Ceci se fait d'une manière totalement aléatoire. Comme le système n'est pas composé d'une infinité de particules, le système total finit par dériver de manière aléatoire. En gros, on peut apparenter le barycentre d'un système fini de particules Brownienne à une particule Brownienne dont les propriétés du mouvement sont différentes et dépendent des particules qui composent le système. Ce que l'on voit très bien, c'est que plus le système est composé d'un nombre élevé de particules, moins la position de son barycentre évoluera au cours du temps.

La figure ci-dessus nous apporte une information sur le caractère aléatoire du mouvement Brownien mais cette information n'est pas quantifiable. L'information qui va être quantifiable, c'est l'évolution dans le temps de ce qu'on appelle la position moyenne quadratique des particules que l'on note . Elle est donnée par la relation :

La position quadratique d'une particule, c'est simplement sa position que l'on a élevé au carré. Lorsqu'on trace l'évolution de la moyenne quadratique des positions des particules, on obtient le résultat suivant :

La principale différence avec la position moyenne simple est que comme la position de la particule est élevée au carré, on ne tient compte de que l'amplitude des mouvements et non du sens (gauche ou droite). Ce que nous dit la figure ci-dessus, c'est que la position quadratique moyenne est proportionnelle au temps. Ou encore, l'écart-type à la position initiale () est proportionnel à la racine carrée du temps. On remarque bien-sûr que cela est de plus en plus vrai à mesure que le nombre de particules Brownienne dans le système augmente.

Finalement, on retrouve bien une relation du type :

La même que celle qu'Einstein avait à l'époque proposée dans son papier ! :).

La variable importante dans cette formule, c'est qui est ce que l'on appelle le coefficient de diffusion du système.  Ce coefficient nous dit à quelle "vitesse" le système va se diffuser dans l'espace. Dans ce cas de figure d'un mouvement Brownien simple c'est à dire dans un milieu homogène et isotrope, le coefficient de diffusion est constant. Mais il peut arriver qu'il dépende du temps et même de l'espace.

Mouvement Brownien d'un ensemble de particules

De manière générale, le mouvement Brownien est un phénomène que l'on applique à un grand nombre de variables aléatoires. En physique, ces variables peuvent représenter la position d'un grand nombre de particules comme par exemple les cristaux d'un sucre qui se dissout dans de l'eau chaude ou encore l'agitation thermique des atomes composant un objet métallique. En finance, ces variables peuvent représenter les fluctuations de la valeur d'actions boursières. En biologie, ces variables peuvent représenter les chemins empruntés par un champignon qui se développe sur une structure fertile comme du bois mouillé par exemple ... . Il est donc intéressant d'étudier de manière simultanée le mouvement Brownien d'un grand nombre de particules.

Voici une animation représentant le mouvement Brownien en 2 dimensions d'un nombre particules. Lorsqu'on considère que l'ensemble des particules se trouve initialement à la position et qu'on les laisse se mouvoir librement, on observe un phénomène que l'on rencontre couramment dans la nature.

On observe de la diffusion. Exactement comme celle entraînant la dilution d'un sucre dans de l'eau chaude. Mais ce qui est encore plus intéressant, c'est de voir que la distribution des grains semble suivre une loi bien précise.

Pour savoir quelle est la loi qui régit l'évolution à priori aléatoire de la position des grains, j'ai réalisé une seconde simulation de mouvement Brownien à grains mais cette fois-ci en une seule dimension. J'ai supposé que nous avons par exemple grains qui se trouvent initialement en et peuvent à chaque pas de temps bouger d'une unité à droite () ou d'une unité à gauche (). Et je regarde ensuite à quelle position se trouve chaque grain de la simulation une fois qu'il a réalisé mouvements.

A priori, on obtient le même genre de distribution que celle qui est obtenue sur la vidéo ci-dessus mais en 1D. Je réalise donc ce que l'on appelle un échantillonnage pour compter de manière statistique le nombre de grains qui se trouvent à un abscisse donné. Et voici ce que l'on trouve quand on fait ça :

La distribution des positions finales des grains que l'on obtient est loin d'être totalement aléatoire. Initialement, l'ensemble des grains se trouve en . Sur la figure ci-dessus, la distribution initiale serait donc un pic (de Dirac) centré en zéro. Après un certain temps, cette distribution est toujours centrée en zéro étant donné le caractère isotrope du mouvement mais elle s'est élargie et décrit maintenant ce que l'on appelle une loi normale qui est représentée par une fonction Gaussienne. Ce genre de loi est définie par la relation  :

représente la probabilité de trouver un grain à la position . est proportionnel à la densité linéique de grains. représente ce que l'on appelle l'espérance mathématique, ou l’abscisse associé à la position du maximum de probabilité . Enfin la variable la plus importante ici est la variable que l'on appelle l'écart-type et qui représente la largeur à mi-hauteur de la Gaussienne. C'est cette dernière variable qui évolue dans le temps et qui augmente au fur et à mesure du temps permettant ainsi à la distribution de s'aplatir petit à petit. dépend donc également du coefficient de diffusion . Plus précisément on a la relation :

Voilà comment évolue typiquement ce genre de distribution dans le temps. La figure suivante vous montre la distribution normale pour , et pas et ce pour grains différents :

On voit bien que la distribution s'étale au fur et à mesure du temps. Notez que l'aire sous la courbe reste toujours la même, en effet le nombre de grain dans la simulation est constant.

En pratique, le mouvement Brownien est un cas particulier d'une discipline physique bien plus vaste que l'on appelle la théorie du transport. Cette discipline consiste à résoudre (entre autre) mathématiquement ce que l'on appelle des équations de diffusions (qui sont des cas particuliers d'équations de transport) afin d'étudier quantitativement l'évolution de différentes distributions initiales d'objets dont l'approximation au continu est possible. La loi normale est donc une solution particulière d'une équation de diffusion dont la distribution initiale est une distribution de Dirac (un pic infini). On pourra étudier ce genre de phénomènes plus tard ;).

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Longueur
Pertinence
Difficulté
Total